Τετάρτη 15 Φεβρουαρίου 2012

L’exemple des Tanagras


Au plus profond de l’homme : Irini Gonou, une artiste humaniste, anthropologue.
L’exemple des Tanagras.

Irini Gonou, née en 1955 à Athènes, est sculpteur. Après une formation à l’école supérieure des Beaux-Arts de Paris puis à l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, en compagnie de son mari, Miltos Pantelias, lui aussi artiste-peintre, avec qui elle collabore régulièrement, Irini Gonou est retournée vivre et travailler à Athènes.
Depuis lors, sa sculpture se développe essentiellement selon deux axes, celui que l’on pourrait qualifier de « classique », l’artiste réalisant souvent un travail de modelage, de moulage, de la terre et de la céramique, auquel elle mêle une pratique plus récente – tout de même centenaire –, de l’assemblage, du collage, où la composition et les matériaux sont les éléments essentiels de son œuvre. Elle sculpte en effet à partir de matériaux naturels, qu’elle récupère au cours de ses pérégrinations, bois flottés, branches, paille, beaucoup aussi à partir d’objets qui portent en eux une mémoire, une histoire, papiers vieillis, tickets de métro, papiers de bonbons d’antan, lettres anonymes ou non, archives municipales, filets de pêches qu’elle ramasse au bord de la mer Egée, rames usées, tissus, ficelles, un peu à la manière des Merz de Kurt Schwitters, « un des artistes [qu’elle] aime beaucoup».

Souvent, et ce depuis quelques années, l’écriture est constituante de son œuvre, qu’elle soit inhérente aux papiers et matériaux choisis ou qu’il s’agisse des calligraphies arabes qu’elle ajoute méticuleusement. Calligraphie qu’elle pratique assidûment, et qu’elle fait partager, notamment en donnant des cours au musée Benaki d’Athènes.
Très souvent encore, elle associe à ses œuvres, quels que soient les volumes ou les formats, rondes-bosses ou bas-reliefs, le visage d’une figure féminine récurrente dans son travail, usuellement en terre cuite, parfois reproduite, imprimée également sur de vieux papiers, qu’elle décline, depuis 1996 et jusqu’à aujourd’hui encore, dans cette série intitulée « mes tanagras »


Le sculpteur fonctionne en effet par séries, car elle tend à « ce que [son] travail montre où [elle en est]. Je reste donc souvent sur un même sujet que je développe, de différentes manières, que j’élargis, sur un temps plus ou moins long », précise-t-elle. Parmi celles-ci, outre les tanagras sur lesquelles nous reviendrons plus amplement, les plus récentes sont les « écritures apotropaïques », et les « talismans ». Toutes ont une dimension multiculturelle et « multicultuelle », et ainsi une dimension auratique, magique, sacrée, mythique. En effet, Irini Gonou est, depuis toujours, inspirée par l’ailleurs, les autres, l’homme, qui ne cessent de nourrir son œuvre. Multicultures et multi-cultes, souvent africains, dans lesquels elle se plonge au plus profond, de manière très appliquée, studieuse, trop peu selon elle au cours de voyages, mais à travers des rencontres, des lectures, l’apprentissage de l’arabe, ou encore l’étude de l’ethnographie, de l’anthropologie, de l’histoire des religions, « ses histoires de l’art », qui constituent son œuvre, sa personne toute entière.


Évidemment l’Occident, la France, où elle a vécu une dizaine d’années, jouent un rôle fondamental dans son œuvre. « D’ailleurs, l’Afrique vient de ce que j’ai vu en France, que j’ai lu, rêvé,… c’est en quelque sorte mon Afrique, mais pas une Afrique cherchée sur place », ajoute-t-elle. Mais surtout la Grèce, sa terre natale, cette riche civilisation, le pays des philosophes, de la démocratie, de la mythologie, celle d’aujourd’hui aussi, qui souffre et qui les fait souffrir, tous, constitue fondamentalement son travail, même inconsciemment.


Inconsciemment, en effet, et c’est alors que nous entrons dans le vif du sujet, les tanagras, puisque ce n’est que récemment qu’elle a découvert que la technique qu’elle utilise pour sculpter, modeler, est celle qu’utilisaient ses ancêtres. « Je passais toujours par le moulage pour reproduire cette terre cuite [le visage de tanagra]. En 2004, il y a eu l’exposition du Louvre sur les Tanagras . Sans le savoir, je me suis aperçue que je travaillais comme le coroplaste, que j’étais dans les pas de mes ancêtres, ce qui a déclenché en moi beaucoup d’émotions. […] D’ailleurs le mot coroplaste en grec veut dire "celui qui fait des filles" ».
Cette technique ancestrale de la coroplathie, consistait, à partir d’un moule original propre à chaque région, à reproduire en série une figure, chacune pouvant elle-même servir de modèle pour la création d’un nouveau moule, transformant progressivement le modèle initial dans son format et sa qualité, de génération en génération. Cette technique, utilisée dans des ateliers par des artistes anonymes, permettait la création d’un très grand nombre de figurines féminines que l’on appelle les tanagras et qui sont des sortes d’offrandes, dont tout le monde pouvait disposer, retrouvées en parties dans les tombes et à proximité des temples. Nous ne connaissons, à ce jour, pas la fonction exacte de cette figure féminine, mais le nombre important que l’on a pu retrouver et la diffusion massive tout autour de la mer Méditerranée, montre qu’il s’agissait d’une figure appréciée, populaire. « Cette sculpture était destinée aux gens ordinaires, à tous, et c’est également ce qui [touche particulièrement Irini Gonou] dans cette figure ». En effet, ajoute-t-elle, « ce n’est pas la grande sculpture mémoire, comme celle de Phidias ou autres, elles ne sont même pas connues dans l’histoire grecque, mais sont comme une sorte de fétiche, ce qui est très proche de ma sculpture et de mon travail en général. J’aime le populaire, ce qui touche les gens, les gens ordinaires, pas les choses idéalistes, idéales».


Son travail se rapproche encore de celui des coroplastes car, comme eux, Irini Gonou a conservé à l’identique son moule original, le visage de la femme, un visage mélancolique, rêveur, serein, les yeux baissés, mais les personnalise chacun par l’ajout de motifs décoratifs qu’elle modèle. Chapeaux et autres coiffes, larmes, chevelure ornent et individualisent chacune d’elles. Une question me taraude encore : qui est-elle, cette femme que l’on identifie comme une marque de fabrique, une signature de l’artiste ? Justement, me répond-elle, « cette figure est un peu le moi dans l’histoire, car chacune de mes pièces est une histoire, un environnement, un état, une étape. Cette figure est la protagoniste de l’histoire, de ce qui se passe, de l’univers imaginaire que je construis autour d’elle, de mon univers imaginaire ».


Néanmoins, ce visage intemporel – intemporel d’ailleurs comme son travail, qui est un mélange de tous les temps, puisant tout autant dans l’Antiquité, dans un passé plus ou moins proche, que dans le présent – ce visage classique, qui vient de l’Antiquité, n’a pas changé en plus de quinze ans, il ne représente personne, l’artiste n’avait pas de modèle physique pour le réaliser, « c’est moi, mais c’est aussi tout le monde ». L’écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ qu’elle admire l’a ainsi beaucoup marquée en disant que « les personnes de la personne sont multiples dans la personne » et c’est en quelque sorte à travers ses tanagras, à travers tout son art, qu’elle répond à cela.
Tout le monde, tous les temps, toutes les personnes, sont invoqués, à l’image des tanagras elles-mêmes, qui ont touché tous les habitants de la Grèce Antique, mais aussi – et la filiation est intéressante – des bourgeois et artistes français du XIXe siècle, tels Jean-Léon Gérôme, Antoine Bourdelle, Aristide Maillol, qui voyaient en cette figure féminine la Grâce absolue. Mais contrairement à ses pères sculpteurs français, nous l’aurons compris, Irini Gonou ne s’intéresse pas aux formes des Tanagras, mais à leur importance sociologique, archéologique, à l’objet qui a un rapport direct avec une société, avec une mémoire collective, une mémoire qui nous est parvenue aujourd’hui. Cette ligne continue, entre le passé et aujourd’hui est également fondamentale, indispensable dans son œuvre : « je pense que j’ai toujours besoin de retrouver des traces du passé, une liaison entre les temps, même si cette liaison est conceptuelle, sous-jacente, intrinsèque […] mais le présent doit participer. Je ne veux pas seulement d’un état nostalgique. » Selon elle d’ailleurs, cette filiation, cette lignée passé/présent, s’opère naturellement car « il n’y a rien, je pense, qui n’a pas été dit depuis toujours et nos questions les plus grandes sont toujours les mêmes. »


Les grandes questions qui animent l’artiste sont celles de l’anthropologie, « la parole de l’homme » – mot qui parle grec et qui détermine l’existence de la grécité –, dont elle est une sorte de représentante en art, en tentant de nous dévoiler des aspects de l’humanité. Les rapports, les dialogues entre les hommes et les générations de différentes cultures, avec les gens, tout ce qui touche à l’inconscient collectif, à la mémoire, tout ce qui porte un bagage culturel, géographique, magique, religieux, archéologique, sociologique, tous ces objets fétiches, ou plus ordinaires, mais qui sont chargés d’Histoire(s), d’histoire(s), de mémoire(s), qui portent des traces, un passé, une humanité à découvrir, à aimer, à partager, se retrouvent dans son œuvre.


Aujourd’hui, une page se tourne dans l’histoire des tanagras d’Irini Gonou, même si elle n’abandonnera certainement jamais les figurines qui ont suivi une grande partie de ses vagabondages, de ses recherches en art et « [qu’elle] aime toujours », dit-elle de manière si attachante. Mais « j’ai besoin, j’ai envie de passer à autre chose […] Lorsque j’ai besoin de changement, je le fais, j’ai besoin de le faire pour être honnête avec moi-même et avec les gens » avoue-t-elle.
Ainsi, très récemment, elle s’est lancée dans le dessin, médium qu’elle utilisait jusqu’alors très peu, ou uniquement comme support pour servir sa sculpture. C’est un nouveau portrait que nous retrouvons dans cette première série expérimentale de dessins.
Une figure universelle, grecque encore, le célèbre réalisateur de cinéma – une autre forme d’art "populaire", destiné à tous – Costa Gavras. L’œuvre, plus actuelle, dans le sujet et la forme, proche de l’affiche, du graffiti, dépeint, nous renvoie toujours aux principales lignes directrices du travail d’Irini Gonou, cette artiste-anthropologue.
En réponse à ce que disait Jean-Pierre Vernant, l’anthropologue et historien français, spécialiste de la Grèce antique, une des grandes références de l’artiste : « Qu'est-ce qu'il y avait quand il n'y avait pas encore quelque chose, quand il n'y avait rien ? A cette question, les Grecs ont répondu par des récits et des mythes » , Irini Gonou répond, elle aussi, au grand récit de l’art en développant, partageant, ses mythologies individuelles et les mythologies collectives de l’homme, au profit d’un art humaniste, d’un art anthropologique, d’un art pour tous!
Claire Kueny
Historienne d'Art



Informations générales
Née en 1955
Vit et travaille à Athènes
http://irinigonou.gr/

Depuis les années 1980, elle a réalisé une trentaine d’expositions personnelles et collectives et a participé à des rencontres d’art en Grèce et à l’étranger en collaboration avec d’importants curateurs de la scène artistique.
Un grand nombre de ses œuvres appartient à des collections publiques notables et privés en Grèce et à l’étranger. Sa biographie complète est en ligne sur le site.

Pour plus d’informations sur la coroplathie, consulter également le video-reportage avec l’archéologue Arthur Miller, spécialiste des tanagras sur :
http://www.universcience-vod.fr/media/881/prises-de-tetes.html

2 σχόλια:

Georges Salameh είπε...

merci pour cette belle découverte!

Unknown είπε...

Magnifique article pour cette artiste que j'ai découverte juste avant...
Merci ! :-)